Macroeconomia La guerra dell'acciaio

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Un acier plus concentré
LE MONDE | 02.02.06 | 14h25

Lepuis le vendredi 27 janvier, les usines sidérurgiques font davantage penser à des dominos qui tomberaient les uns après les autres qu'à des monstres d'acier. Que Mittal parvienne ou non à s'emparer d'Arcelor, une chose est sûr : en lançant une offre publique d'achat (OPA) sur son principal concurrent, le milliardaire indien Lakshmi Mittal va bouleverser ce secteur.
Pour justifier son opération, ce petit-fils de ferrailleur indien, devenu la première fortune anglaise avec 20 milliards d'euros, présente des additions impressionnantes : la nouvelle entité compterait 320 000 salariés, réaliserait un chiffre d'affaires de près de 60 milliards d'euros et produirait rapidement environ 115 millions de tonnes d'acier.
Surtout, elle marginaliserait les autres sidérurgistes, puisque le nouveau groupe serait au moins trois fois plus grand que son premier rival, le japonais Nippon Steel. Un argument qui, une fois renversé, est mis en avant par Arcelor pour... se trouver des alliés qui ne soient pas Mittal.
Quelle que soit l'issue de l'opération, la concentration de ce secteur ne peut que s'accélérer. Mittal et Arcelor sont eux-mêmes les meilleurs exemples de la restructuration mondiale de la sidérurgie, en marche depuis les années 1970. Officiellement, Mittal Steel est né en octobre 2004 de la fusion de LNM Holdings et d'Ispat International, deux entreprises appartenant à Lakshmi Mittal. Mais " cette aventure s'est ouverte voilà bientôt trente ans, en Indonésie, avec une production de 35 000 tonnes", rappelait, à Paris, lundi 30 janvier, le fondateur de cet empire.
Après l'effondrement de l'Union soviétique, M. Mittal a racheté pour un faible coût dans d'anciennes républiques de l'URSS des usines et des combinats considérés comme obsolètes et négligés par les Occidentaux. Il a envoyé sur chacun de ces sites une équipe managériale et y a réalisé de nombreux investissements. Saisissant toutes les opportunités, il a agrandi son empire en s'implantant au Kazakhstan, en Roumanie, en Pologne, en Algérie et en Afrique du Sud. Il s'est associé avec un groupe chinois du Hunan ­ Valin Tube & Wire. En 2005, après le rachat du groupe américain ISG, il est devenu numéro un mondial de la sidérurgie. En quatre ans, Mittal Steel a vu sa production d'acier plus que doubler et sa capitalisation boursière être multipliée par quinze !
Arcelor, "fruit d'une fusion réussie" ­ selon les termes de Guy Dollé, son PDG ­ est né, lui, en 2002, de l'union de l'espagnol Aceralia, du luxembourgeois Arbed, et du français Usinor, des groupes à l'histoire centenaire mais, eux aussi, en évolution constante. Que l'on se souvienne de la quasi-nationalisation de ce secteur par Raymond Barre en 1978 et de la fusion, en 1984, entre Usinor et Sacilor.
Deuxième producteur mondial ­ avec un peu plus de 50 millions de tonnes par an ­ mais au premier rang du secteur pour son chiffre d'affaires, Arcelor axe aussi son essor à l'international. Certes, en 2005, 77 % de son chiffre d'affaires proviennent de l'Union européenne. Mais, d'ici à 2010, son objectif est d'atteindre 50 % de son développement hors d'Europe, sur les zones privilégiées que sont le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine, l'Europe de l'Est et la Turquie.
Dans ce dernier pays, comme en Ukraine, Mittal et Arcelor se sont retrouvés concurrents lors des privatisations des aciéristes locaux. Et si Mittal Steel n'a pas été intéressé par le canadien Dofasco, que vient d'acquérir Arcelor, c'est parce qu'il est déjà implanté aux Etats-Unis. Avec un chiffre d'affaires plus élevé mais un profit inférieur à celui du groupe indien, Arcelor vaut moins en Bourse. C'est une de ses faiblesses : il n'a pas su se vendre auprès des marchés financiers.
Naissances quasi simultanées, tailles comparables : Mittal Steel et Arcelor ont de nombreux points communs. Depuis des années, leurs PDG tiennent d'ailleurs des discours identiques : pour survivre, il faut croître et produire 100 millions de tonnes d'acier par an.
C'est que, malgré leur boulimie, les deux groupes ne représentent, ensemble, que 10 % de la production mondiale d'acier. La course à la concentration reste donc un maître mot dans cette branche, tant pour répondre à la pression des fournisseurs que des clients.
En amont, les exploitants de minerai de fer sont plus concentrés, puisqu'on ne compte que trois grands groupes mondiaux CVRD, Rio Tinto et BHP Billiton. Résultat : en 2005, ils ont imposé aux aciéristes des augmentations de tarifs de l'ordre de 70 %. En aval, c'est à peine mieux : les cinq premiers constructeurs automobiles pèsent plus de 50 % de la production mondiale alors que les cinq premiers sidérurgistes ne font à peine que 19 %.
La sidérurgie va donc vivre dans le proche avenir à l'heure des concentrations, dont la guerre Mittal-Arcelor n'est qu'un épisode. Là encore, la Chine avec son énorme appétit en biens de consommation, jouera un rôle phare. Premier producteur mondial d'acier depuis 1996, ce pays connaît dans la sidérurgie, depuis 2001, une croissance supérieure à 20 %. Il contribue désormais à 26 % de la production mondiale. Depuis 2001, Pékin importe massivement de l'acier fini (pour plus de 29 millions de tonnes). En 2006, sur 1,53 milliard de tonnes d'acier qui seront consommées dans le monde, la Chine, à elle seule, devrait en prendre 320 millions, et le reste du monde 733 millions.
La Chine n'en est qu'au début de son développement sidérurgique, comme l'atteste sa consommation d'acier par habitant (160 kilogrammes) encore éloignée des modèles des pays développés, comme en Europe (360 kg/hab), ou en Amérique du Nord (350 kg/hab). Mais on prévoit que, d'ici à 2010, elle pourrait contribuer au tiers de la production mondiale. D'ores et déjà, chaque année, elle fournit, avec ses 900 entreprises séparées, l'équivalent de la production mondiale de Mittal Steel !
L'évolution de la sidérurgie, selon les experts, devrait être marquée par la constitution de deux ou trois grands acteurs disposant, chacun, de capacités de production avoisinant les 100 millions de tonnes. A leur suite, prendraient place des entités dont la capacité s'étalerait entre 40 et 60 millions. Dans cette projection, les neuf premiers se partageraient les deux tiers de la production, alors qu'aujourd'hui les 10 premiers en concentrent seulement 27 %. Et ce, que le mariage Arcelor-Mittal ait lieu ou non.

Dominique Buffier
 

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