Innovation et valorisation de la recherche
La FDA et l'innovation : entre le fer et l'enclume (partie 1/2)
La FDA ("Food and Drug Administration") est l'organe central d'application de la réglementation aux Etats-Unis. A la différence de la France qui opère une séparation entre l'alimentaire (AFSSA) et les médicaments (AFSSAPS), la FDA est responsable de l'application de la législation en matière alimentaire, phyto-sanitaire, vétérinaire, médical et thérapeutique. Et, ce n'est un mystère pour personne, elle continue d'alimenter les critiques.
Fin 2008, nous lui avions consacré un article [1]. A cette époque, tous les espoirs étaient permis : après l'Administration Bush, accusée à la fois d'immixtion dans les décisions de mise sur le marché de médicaments et de restriction des ressources de l'Agence, les industriels américains de la santé et de l'alimentaire ne pouvaient qu'anticiper une période plus favorable pour l'innovation médicale et thérapeutique avec l'accélération des processus d'agrément et les moyens humains de l'Agence. Le candidat Obama n'avait-il pas déclaré dans sa campagne que l'USPTO et la FDA, véritables goulots d'étranglement de l'innovation américaine, allaient faire l'objet d'une réforme ? Quand on sait que tous les produits qui passent par la FDA représentent un volume d'affaires de 1.000 milliards de dollars chaque année, soit environ 25 centimes de chaque dollar dépensé par les américains, l'enjeu est de taille pour toutes les parties prenantes.
Las ! Trois ans plus tard, les belles promesses du candidat Obama sont venues se frotter aux dures réalités des questions de santé publique, du contrôle parlementaire, de l'application des législations par la FDA et surtout de son budget qui atteint 7 milliards de dollars. Non seulement aucune réforme majeure n'a été engagée mais les moyens supplémentaires actuellement demandés au Parlement américain par l'Agence (1,4 milliard pour le recrutement de 2.000 experts) ne sont pas du tout acquis en raison des très fortes pressions budgétaires. A cette contrainte s'en ajoutent d'autres, autrement plus inquiétantes puisque, dans le cadre de la réforme du système de santé, la FDA doit se voir confier de nouvelles missions de supervision. Résultat : la FDA se retrouve une nouvelle fois en première ligne de toutes les critiques venant du monde de la pharmacie, des fabricants de matériels médicaux et des utilisateurs finaux. Pire encore, le Parlement s'intéresse désormais aux processus internes d'agrément de la FDA. Et dans les deux Chambres, les commissions sont traversées par des courants contradictoires qui laissent présager des débats longs, houleux et peu conclusifs. D'un côté on trouve les tenants de processus d'agrément favorables à l'innovation et la création. L'autre côté est constitué des détracteurs de la FDA qui critiquent son laxisme dans ses relations avec l'industrie du médicament et des dispositifs médicaux.
Attaquée de toutes parts, la FDA tente également de se justifier. C'est bien sûr sur le médicament qu'elle souhaite faire valoir ses résultats [2] parce que les enjeux sont les plus grands et les pressions les plus fortes. Et sans doute encore plus fortes que dans le sanitaire et l'alimentaire où les problèmes de santé publique coûtent pourtant des milliards à la société (obésité). Dans un récent mémo de la FDA, on apprend ainsi que le volume de médicaments approuvés par l'Agence est peu près stable depuis cinq ans. En 2010, le centre d'évaluation des médicaments de la FDA (CDER, "Center for Drug Evaluation and Research") a ainsi autorisé la mise sur le marché de 21 molécules d'intérêt pharmaceutique (NME, "New Molecular Entities"), un chiffre proche de celui des quatre dernières années [3] et de la moyenne de la décennie 2001-2010. En fait, rien de très surprenant, la situation est similaire en Europe : c'est en partie dû au fait que l'innovation est plus difficile mais aussi parce que les agences, y compris la FDA, mettent de plus en plus l'accent sur la sécurité ("safety") et sont donc plus conservatrices.
Autre aspect du problème : les demandes déposées au CDER/FDA. Elles ont tendance à "ne pas augmenter" pour reprendre l'euphémisme employé par l'Agence. On en compte 23 en 2010, contre 37 en 2009, 34 en 2008, 35 en 2007 et 26 en 2007. Ce recul s'inscrit dans une tendance quasi linéaire à la baisse depuis 1996 (45 demandes). Selon l'Agence, c'est ce déclin qui l'a amenée à lancer en 2004 le CPI ("Critical Path Initiative") [4] un programme pilote destiné à relancer l'innovation pharmaceutique aux Etats-Unis.
Dans la pratique, et tous les professionnels le savent bien, ces données ne constituent que la partie émergée de la question de l'innovation pharmaceutique. En effet, entretemps, les coûts de développement des médicaments ont explosé et les procédures d'agrément se sont considérablement complexifiées au point d'avoir un impact dès les phases pré-exploratoires et exploratoires de recherche. Cette situation a entraîné des répercussions majeures dans le modèle de la recherche pharmaceutique [5] dont l'économie repose désormais sur une réduction de capacités internes de recherche des sociétés pharmaceutiques, une externalisation renforcée et un abandon partiel des aires thérapeutiques les plus risquées. Autre conséquence : les pressions réglementaires et du marché (génériques, biosimilaires) ainsi que la faible capacité d'innovation des grands groupes ont précipité un vaste mouvement de recomposition du paysage de la pharmacie américaine [6].
Mais actuellement, ce n'est pas tant sur le médicament que la FDA est attaquée par les parlementaires et le public mais sur ses méthodes. L'interrogation des autorités américaines porte sur les dispositifs médicaux comme les prothèses de hanche et les simulateurs cardiaques où la FDA ne semble pas être en mesure d'assurer un suivi médical suffisant. Ainsi, les 93.000 prothèses de hanche commercialisées par J&J et faisant l'objet d'une ordonnance de retrait du marché ont récemment provoqué un scandale public puisque la FDA a visiblement été incapable d'appliquer la législation de 1976 qui s'impose en pareil cas. La FDA est également accusée dans cette affaire d'avoir procédé avec légèreté l'examen de prothèses génériques (programme 510(k) [7]).
Le Bureau fédéral des responsabilités (GAO), qui a mis au jour cette affaire pour que les parlementaires l'instruisent et imposent à la FDA de nouvelles règles, indique qu'à peine un matériel médical sur 5 fait l'objet de tests approfondis par la FDA. Et, à y regarder de plus près, il ne s'agit que de dispositifs implantables ou destinés à maintenir en vie. Naturellement, sitôt connue, l'affaire a mobilisé la FDA qui entend désormais requalifier certains dispositifs médicaux, voire imposer des tests cliniques pour certains d'entre eux. Selon les experts, la réaction de la FDA a été la bonne en essayant de mettre au point une réglementation plus appropriée dans un temps rapide. Mais ce changement de cap, à l'opposé de l'immobilisme régulièrement reproché à l'Agence, n'est pas passé inaperçu : les groupes de pression ont aussitôt donné de la voix en indiquant que la remise en cause partielle du programme 510(k), qui admet 3 800 à 4.000 produits par an, allait dramatiquement freiner l'innovation et l'avance technologique américaine dans ce domaine.
Dans la pratique, les ordonnances de retrait sont peu nombreuses mais très médiatisées. Elles mettent régulièrement la FDA en défaut parce que cela concerne une très grande majorité de dispositifs médicaux qui ont été approuvés selon un processus rapide : selon le journal "Internal Medicine", 81% des 113 ordonnances de retrait appartiennent à cette catégorie de dispositifs parmi lesquels on compte des appareils cardiovasculaires et des défibrillateurs.
La FDA et l'innovation : les évolutions probables (partie 2/2)
La presse spécialisée américaine n'est en général pas tendre avec la FDA qui serait à l'origine de scandales à répétition : elle en ferait trop ou pas assez pour protéger ou guérir les patients, elle limiterait indûment l'innovation. Comme nous l'expliquions dans la première partie de cet article [1], les parlementaires américains sont également à la manoeuvre pour tenter d'influer sur les procédures et le fonctionnement de la FDA. Ils auront également le dernier mot sur les dotations budgétaires de l'Agence qui réclame davantage de moyens alors que le contexte budgétaire du Gouvernement fédéral est critique. D'autant que les Républicains assimilent toute hausse des moyens de l'Agence à une augmentation de la bureaucratie et à des destructions d'emplois liés à l'innovation.
La FDA est donc sous pression. Récemment, c'est le numéro deux de l'Agence, Joshua Sharfstein, qui a jeté le gant pour prendre la direction des services de santé du Maryland. Présenté dans les milieux spécialisés comme un homme compétent en plus d'être un expert reconnu par le Parlement où il avait notamment défendu l'Agence dans l'affaire des prothèses commercialisées par J&J. Joshua Sharfstein avait adopté une ligne dure vis-à-vis des industriels, allant jusqu'à appliquer de façon stricte la réglementation et à faire appel à la justice pour des enquêtes de nature criminelle. Il avait également pris des décisions conservatoires quant à des médicaments jugés "risqués", comme l'Avandia (Rosiglitazone), un anti-diabétique produit par GSK [2].
Il a été remplacé par John Taylor, une autre personnalité qui a fait l'essentiel de sa carrière à la FDA, entrecoupée de séjours dans l'industrie (Abbot Lab et le groupement BIO). C'est lui qui va prochainement faire face aux parlementaires alors que le numéro un, la Commissaire Margaret Hamburg, réfléchit à une nouvelle gouvernance de l'Agence.
Dans la pratique, les défis auxquels fait face la FDA sont de trois ordres. Ils correspondent à trois tendances lourdes qui vont influer sur l'activité réglementaire de la FDA. C'est sans doute ces défis que John Taylor sera amené à présenter aux parlementaires à qui il demande des moyens supplémentaires.
1. Le défi de la transparence
Joshua Sharfstein a certes lancé une initiative à ce sujet en mettant sur pied un groupe de travail. Mais, avec son départ, le dossier n'a pas progressé. Les réponses opérationnelles à l'obligation de transparence à laquelle est désormais soumise la FDA par les parties prenantes se heurtent à des difficultés majeures. En effet, tout le monde comprend qu'il est inacceptable que la FDA laisse les industriels monter des dossiers d'agrément complexes dont l'examen s'étale sur des mois avant de leur signifier un rejet sans explication.
Autres que les paramètres réglementaires et sanitaires, les décisions aléatoires de la FDA ont beaucoup participé au mécontentement des industriels. Et laissé craindre des influences politiques sinon des enjeux cachés. A ceci s'ajoute le fait que la FDA se montre actuellement réticente à examiner certaines familles de thérapies, dont celles liées à l'obésité. Un paradoxe quand on sait le volume des crédits de recherche que le Gouvernement consacre à cette maladie de santé publique qui exige des approches innovantes.
Ceci étant, la FDA a mis beaucoup d'eau dans son vin depuis que l'Administration Obama a requis la transparence pour toutes les agences fédérales. A l'initiative de la FDA, de nombreux groupes et instances de discussion ont été mis en place avec les partenaires de l'Agence. La tâche n'est certes pas simple mais des propositions circulent. Parmi ces dernières on trouve la possibilité de mettre à la disposition du public des informations sur les dates de demandes d'investigation d'un nouveau médicament (IND [3]), les demandes de mise sur le marché (AMM) ainsi que l'état d'avancement des demandes et les lettres d'approbation ou de refus.
Mais il est aussi des situations où la transparence fait face à d'impérieuses limitations. C'est le cas lorsqu'une société dépose un dossier pour une molécule d'intérêt pharmaceutique ou du matériel médical et que la FDA estime que la demande n'est pas recevable ou doit être placée en instance d'examen, faute de législation ou de méthode disponible pour l'agréer. Révéler les raisons qui motivent ces situations, c'est aussi dévoiler des informations de nature concurrentielle tout en inhibant les velléités de dépôt des compétiteurs et les efforts de R&D industriels dans le domaine concerné.
2. Le nouveau défi de la pharmaco-économie : vers des contraintes supplémentaires pour les industriels
De nouvelles contraintes s'ajoutent à celles auxquelles doivent déjà faire face les sociétés pharmaceutiques. En plus de se soumettre à l'évaluation de la FDA, une nouvelle organisation prend de plus en plus de poids dans le processus de décision quant à la mise sur le marché d'un médicament ou d'un appareillage médical : le CMS ("Center for Medicare and Medicaid Service").
En effet, un médicament nouvellement mis sur le marché était jusqu'à présent remboursé par les agences de remboursement puisqu'il avait déjà passé le test de sa nouveauté (brevet), les tests de non-toxicité et de son efficacité (essais cliniques). Mais les agences de remboursement ne l'entendent désormais plus de cette oreille. Afin que leurs produits soient remboursés, les entreprises biopharmaceutiques et d'appareillage doivent désormais apporter des études comparatives (entre leurs produits et les produits déjà validés sur le marché) qui prouvent que l'efficacité est supérieure. C'est la notion de "betterment", c'est-à-dire de valeur ajoutée thérapeutique par rapport aux autres produits déjà disponibles et à un moindre coût sur le marché.
Dans le contexte du système de santé américain et de son coût, il est quasiment impensable qu'un médicament, un traitement ou un matériel médical soit agréé par les assureurs sans que le patient est la possibilité d'être remboursé.
La FDA réfléchit, de son côté, à intégrer des éléments comparatifs à son évaluation, même si celle-ci n'intervient pas dans les modalités de remboursement des médicaments et des dispositifs médicaux.
3. Les défis des évolutions scientifiques
La FDA a publié au début du mois d'avril un rapport sur sa stratégie sur les 5 ans à venir. Elle se fixe 5 principales priorités pour 2015 :
- Elle en appelle à davantage de promotion de l'innovation et des initiatives de recherche,
- Elle souhaite renforcer les contrôles sanitaires de la chaîne logistique des aliments. Elle a ainsi la volonté à mettre en place davantage de collaborations avec les instances sanitaires et alimentaires étrangères, fédérales et étatiques.
- Elle tient à renforcer la conformité des usines de productions et de distribution des aliments, des médicaments, des appareils médicaux, etc.. Pour cela, de nouveaux procédés d'inspections et de suivi seront mis en place.
- Elle compte aborder le problème de la sous représentation de certaines populations dans les essais cliniques : les minorités, les femmes, les enfants. Particulièrement concernant les dosages pédiatriques, la FDA prévoit de collaborer avec l'UE, le Canada, le Japon, l'Australie, afin de réunir davantage d'informations.
- Elle concède avoir un manque de ressources (humaine, logistique et réglementaire) pour faire face aux situations d'urgence en matière de santé publique (événement nucléaire, épidémie, menace biologique, etc.) et compte réduire son retard par le plan d'action "MCM [4]" ("Medical CouterMeasures"), lancé en 2010.
La stratégie de la FDA est de se focaliser davantage sur la gestion du risque que sur l'évaluation en elle-même. Toutefois, la FDA est confrontée à un manque de réglementation et de connaissances des produits/molécules très innovants. La difficulté pour la FDA réside en effet dans l'évaluation de produits dont personne ne peut à ce jour mesurer les effets sur le long terme (outils de médecine personnalisée telles que la modélisation génomique). La frustration est donc perceptible dans les deux camps, la FDA d'un côté et les scientifiques de l'autre.
On le sait, le domaine de la médecine personnalisée est amené à prendre de l'ampleur dans les 10-15 ans à venir. La vision et la définition du médicament ne seront plus les mêmes. Le médicament ne sera sans doute plus seulement destiné à traiter un symptôme mais à cibler une voie de signalisation moléculaire. Le diagnostic sera alors associé au traitement. Dès lors, de nouvelles expertises seront requises au niveau des acteurs réglementaires : compétence double dans la régulation des dispositifs de diagnostic et des produits de traitement.
Ainsi, les tendances vont sans aucun doute accroître les pressions sur la FDA à adapter plus rapidement son fonctionnement et ses procédures. Ceci étant, il ne faut pas s'attendre à ce que la FDA développe une avance dans les techniques d'agrément alors que les connaissances scientifiques progressent à vive allure et que les produits et services qui lui sont soumis gagnent chaque année en complexité, en multidisciplinarité et en sophistication. C'est même plutôt l'inverse auquel il faut s'attendre : la FDA est appelée, en tant qu'agence réglementaire, à subir les assauts de l'innovation en tentant de réagir mais sans pouvoir réellement anticiper, surtout si elle ne parvient pas à s'associer davantage de collaborateurs scientifiques de haut niveau capables d'effectuer une veille scientifique et de définir, en liaison avec les parlementaires et l'executif, des principes qui peuvent guider les futures législations à appliquer.
Autre point d'importance, la soumission de la FDA aux deniers de l'Etat fédéral. C'est bien là que le bât blesse. Comme nous l'indiquions dans la première partie de l'article, le candidat Obama considérait en 2008 la FDA comme un dossier prioritaire. Certes a-t-il impulsé des changements, comme ceux intervenus dans la gouvernance de l'Agence ou son autonomie, mais il n'a pas pu aller plus loin. Les questions cruciales sont en effet celles des moyens et du mandat que lui confie le pouvoir législatif. Comme on le sait, l'Agence relève du Parlement, qui n'est pas du tout en faveur d'une extension du rôle et des prérogatives de la FDA. Cette perception est à rapprocher des autres dossiers en souffrance au niveau du législatif américain : la réforme des brevets [5] (approuvée par une seule chambre) et l'USPTO, qui, faute d'avoir les coudées franches du parlement pour résorber les 1,22 million de brevets en instance [6] s'enfonce dans une crise inédite. Cette dernière fait perdre aux Etats-Unis des milliards de dollars. De plus, le retard alimente sinon un pillage technologique effectué par certains pays du moins des activités d'intelligence technologique conduites par les concurrents des déposants. Ces deux grands dossiers liés à l'innovation technologique ne semblent pas inquiéter les parlementaires américains, ni les motiver à aller rapidement de l'avant malgré les signaux envoyés par les Académies des sciences et même les industriels.
Au total, il faut donc s'attendre à ce que la FDA se retrouve prochainement dans un paradoxe où elle est face à des défis croissants auxquels elle n'est pas en mesure de répondre, faute de ressources, de mandat et d'une vision globale des questions d'innovation. Toutefois, il ne faut pas omettre les efforts mis en oeuvre par le FDA sur le défi de la transparence, sur la nécessité d'harmonisation avec les agences réglementaires étrangères de surcroît la nécessité d'élaborer des directives appropriées aux dispositifs et médicaments très innovants.