L'OMS tente de savoir pourquoi la grippe aviaire s'est propagée si vite parmi les humains en Turquie
GENEVE (AP) - La vitesse de transmission de la souche mortelle H5N1 du virus de la grippe aviaire des animaux aux hommes en Turquie inquiète l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui se penche actuellement sur la question.
Selon l'OMS, 15 cas humains ont été constatés en Turquie en une semaine, ce qui représente plus que la Chine (8 cas) et le Cambodge (4) réunis. L'Indonésie a rapporté 16 cas, mais depuis juillet dernier, et la Thaïlande compte 22 cas depuis 2003.
"Cela est sans précédent", constate la porte-parole de l'OMS, Maria Cheng.
Le responsable de la mission de l'OMS en Turquie, Guenaël Rodier, précise qu'il ne soupçonne rien d'"étrange", mais qu'il se demande tout de même si "nous avons affaire à une transmission plus efficace des animaux à l'homme".
"C'est une question ouverte. Je n'ai pas de réponse à cela", a-t-il déclaré lors d'une conférence téléphonique.
M. Rodier a précisé qu'il fallait encore beaucoup de travaux avant de pouvoir déterminer s'il y a eu des changements dans le mode de transmission ou dans la composition du virus lui-même. Mais il soupçonne une altération génétique du virus, dont l'importance pourrait être évaluée dans quelques semaines.
Les experts craignent qu'une mutation du virus puisse mener à la transmission inter-humaine. Mais pour l'instant, rien ne laisse penser que la transmission se soit faite d'humain à humain, et "nous avons affaire à une situation similaire à celle que nous avons vue en Asie", a souligné M. Rodier.
"En pratique, cela veut dire un certain nombre de petits sites, des petits foyers de maladie autour de familles concernant beaucoup d'enfants et toujours avec un contact étroit avec des oiseaux infectés, typiquement des volailles de basse-cour, en particulier des poulets qui pourraient être morts ou malades", a expliqué M. Rodier.
Il a précisé qu'il n'était pas surprenant que les enfants soient plus vulnérables au virus que les adultes, étant donné qu'ils présentent une résistance immunitaire moindre et qu'il est plus que probable qu'ils jouent avec des poulets malades.
Trois enfants turcs âgés de 11 à 15 ont perdu la vie ces derniers jours après avoir contracté le virus. M. Rodier a annoncé que l'OMS et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) essayaient en ce moment de développer une stratégie de prévention plus efficace auprès des enfants.
"Nous avons peut-être besoin de cibler les messages sur les enfants en particulier, et probablement leurs mères", a-t-il estimé. AP
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Les autorités turques font face à de virulentes critiques sur leur gestion de la grippe aviaire
"On veut des docteurs !" Le ministre turc de la santé, Recep Akdag, ne s'attendait pas à pareil accueil, lundi 9 janvier à Dogubeyazit. Accompagné d'une délégation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), il était en visite dans la petite ville de l'est de la Turquie où trois enfants sont morts la semaine dernière, dont deux avaient de manière certaine contracté la forme humaine de la grippe aviaire. Il a été pris à partie par les villageois mécontents de leur sort.
Paradant devant les journalistes, le ministre, protégé par des véhicules blindés et des gendarmes armés, est allé présenter ses condoléances au père des enfants décédés. Il a promis un nouvel hôpital à la population médusée. "Allez dans nos villages où les poulets meurent et où personne ne met les pieds", lui ont lancé quelques manifestants, ivres de désespoir. Le ministre a dû battre en retraite.
Cette contrée montagneuse et reculée, peuplée en grande partie de Kurdes, se sent délaissée par les autorités du pays depuis que le virus H5N1 y a fait son apparition. Le gouvernement est accusé de lenteurs et de négligences qui auraient favorisé une propagation aussi rapide de la maladie. Celle-ci a été diagnostiquée chez 12 autres personnes (dont 11 enfants) toujours hospitalisées et plusieurs dizaines de cas attendent encore des analyses définitives. Surtout, de nouvelles régions rurales ont été gagnées : 15 provinces sur 81 sont concernées par la grippe aviaire. Des foyers ont été identifiés jusqu'à Istanbul, où des poulets infectés ont été découverts dans l'arrondissement pauvre de Küçükçekmece.
"PNEUMONIE"
Le chef de la délégation de l'OMS qui se trouve dans le pays depuis dimanche 8 janvier, Guénael Rodier, a estimé que "sur le plan de la santé humaine la prise en charge de la crise est bonne", imité par la Commission européenne, pour qui "les autorités turques ont pris les mesures nécessaires". Un discours rassurant. L'équipe de l'OMS devait se rendre à Ankara mardi 10 janvier pour soutenir la cellule de crise mise en place par le gouvernement. Une initiative des autorités que beaucoup trouvent tardive. Et les critiques continuent de fuser à l'encontre des dirigeants turcs qui après l'apparition du premier cas, avaient d'abord parlé de "pneumonie". Pour l'Union des vétérinaires, le gouvernement a fait preuve de "lassitude" face à l'épizootie.
La presse affirme que plusieurs alertes ont été sous-estimées au cours des deux derniers mois. Les résultats de tests ont parfois mis plus d'un mois à être officialisés. La grippe aviaire pourrait donc être plus répandue encore. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a appelé ses compatriotes à livrer leurs poulets malades et a demandé aux imams de prêcher de justes informations sur les moyens de se prémunir.
Dans les montagnes de Dogubeyazit comme dans les bidonvilles d'Istanbul, les poulets rentrent dans les maisons et vivent au milieu des familles les plus pauvres. Les enfants qui côtoient les bêtes sont particulièrement exposés. Certains villages reculés n'ont toujours pas été atteints par les services vétérinaires. Des brochures d'information ont été distribuées à travers les campagnes mais, dans cette région située à 800 km d'Ankara, à forte proportion de Kurdes, beaucoup ne parlent pas turc.
Le dispositif mis en place semble bien fragile. La vente d'oeufs au détail a été interdite et plusieurs marchés aux volailles ont été fermés. A Istanbul, les poulets doivent être éliminés dans quelques quartiers populaires. Pour autant, la mégapole ne semble pas gagnée par la panique. Bayram, la fête du mouton, commence en Turquie, et le mouton, lui, ne présente aucun danger.
Guillaume Perrier
Article paru dans l'édition du 11.01.06