Tu veux que Poutine obtienne le prix Nobel
Ce que tu fais cela se nomme du négationnisme et du revisionnisme historique !
endant deux siècles et demi, les Ukrainiens n’eurent pas l’occasion d’apprendre leur histoire. La russification en deux phases, par l’Empire tsariste d’abord, par l’Union soviétique ensuite, eut pour conséquence une présentation déformée de notre histoire, les régimes s’employant à éradiquer soigneusement et par tous les moyens les termes d’« Ukraine » et d’« Ukrainien » de nos consciences.
2L’Empire tsariste allait jusqu’à mettre en doute l’existence d’une « nation ukrainienne ». La publication de matériaux d’enseignement scientifique, religieux ou didactique en ukrainien était interdite. Les Ukrainiens étaient présentés comme une branche sud-est de la nation russe, et l’on qualifiait leur langue de « russe polonisé ». Durant des siècles, on fit accroire aux Ukrainiens qu’ils n’étaient pas une nation et n’avaient aucun droit à un État à eux.
3En comparaison, la situation en URSS était plus favorable. La doctrine de base quant à l’unité russo-ukrainienne avait été maintenue, mais le droit à la langue ainsi que certains attributs de l’État étaient reconnus, au moins formellement.
4C’est au mouvement national ukrainien des XIXe-xxe siècles, qui joua un rôle considérable dans le processus de conscientisation nationale, qu’est due la renaissance d’un État ukrainien dans le premier quart du xxe siècle. L’État de Pavlo Skoropadski ne dura pas longtemps, mais la conscience nationale de l’intelligentsia s’en trouva confortée et l’idée d’une renaissance nationale ne devait plus cesser de circuler chez les Ukrainiens les plus éminents tout au long du xxe siècle.
5Cette brève esquisse permet de comprendre dans quelle situation difficile se trouvait l’Ukraine jusqu’en 1991 et la dislocation de l’URSS.
6Une fois obtenue l’indépendance, le nouvel État dut faire face à de sérieux obstacles touchant à la cohésion nationale. Le problème était particulièrement aigu dans le Sud-Est, en marge, où la population était de fait hétérogène, avec une substantielle composante de Russes ethniques ; dans cette région, les représentations impériales et national-russes était très répandues, ce dont la Crimée témoigne à l’évidence.
7La renaissance nationale fut proclamée comme base de toute politique dès la présidence de Leonid Kravtchouk ( 1991-1994), ce qui trouva sa traduction dans le programme pédagogique « Éducation » (« L’Ukraine au XXe siècle ») du 3 novembre 1993 : l’éducation ne pouvait plus être dissociée des racines nationales, la pédagogie et les études d’histoire allaient devenir l’instrument majeur de la construction nationale et un facteur déterminant d’harmonisation entre les ethnies.
8La tâche des historiens ukrainiens, qui partaient de zéro, était d’autant plus délicate qu’existaient de réels points de controverse qui faisaient à l’occasion l’objet de débats dans la presse.
9Il fut particulièrement ardu de faire émerger de ses limbes une histoire proprement ukrainienne. Des faits révélés récemment s’intégraient difficilement, pour une partie importante de la société incluant les historiens professionnels tout comme les universitaires et les professeurs du secondaire, dans les paradigmes anciens.
10C’est à ce moment qu’apparurent les premiers manuels d’histoire du XXe siècle dans le secondaire. Premier ouvrage, la
Nouvelle Histoire de l’Ukraine de Fedir Tourtchenko fut reçue de façon plutôt ambiguë, ce qui s’explique par le fait que les points de vue étaient diamétralement opposés dans le Sud et dans l’Est. C’est que l’auteur y traitait des épisodes les plus dramatiques de l’histoire de la nation ukrainienne : révolution et guerre civile ; vingt ans de « construction du socialisme », avec les violences de la collectivisation et les excès de l’industrialisation ; la famine, provoquée d’en haut, qui faucha plus de sept millions de vies et allait infliger des dommages irréparables à la nation ukrainienne. Sans compter que Tourtchenko abordait aussi les tragiques événements de la Seconde Guerre mondiale, où plus de cinq millions d’Ukrainiens disparurent
[1][1]Cf. Fedor Turãenko [Fedir Tourtchenko], Novej‰aja istorija….
11Auparavant, les manuels présentaient tous ces problèmes (y compris le rôle de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, qui se battit pour la création d’un État en Ukraine occidentale pendant la Seconde Guerre mondiale) sous un angle tendancieux, ou bien les ignoraient purement et simplement. En particulier, la famine de 1932-1933 restait soigneusement gommée.
12Le premier manuel qui traita de la formation et de la consolidation de la nation ukrainienne à proprement parler fut
L’Histoire de l’Ukraine (XIXe siècledébut du XX siècle), de Vitali Sarbej, destiné aux élèves de neuvième du secondaire
[2][2]Cf. Vitalij Sarbej [Vitali Sarbej], Istorija Ukrainy (XIX-naã.…. L’auteur fondait l’identité nationale sur le droit du sang : origines et, par là, culture communes. Une doctrine de formation ethnique dont on notera donc qu’elle est déjà au principe des premiers manuels ukrainiens depuis 1991. Avec ce trait commun, les manuels scolaires s’ancraient dans la tradition du grand historien et ancien président de la
Rada (Parlement) centrale ukrainienne, Mykhaïlo Hrouchevski, pour qui l’histoire de l’Ukraine était celle de l’ethnie ukrainienne, ou plus exactement « le chemin des Ukrainiens vers l’indépendance ». La nation se présentait ici en victime innocente d’un combat héroïque mais tragique pour l’indépendance. L’Ukraine, en cela, ne se distinguait pas des autres « nations sans histoire » de l’est et du centre de l’Europe.
13Une nouvelle génération de manuels a récemment fait son apparition, tels ceux de Myroslav Popovytch ou Nataliya Yakovenko
[3][3]Cf. Nataliya Yakovenko, Naris istorii Ukraini z najdavnichih…. La publication du livre de Yaroslav Hrytsak,
Esquisse d’une histoire de l’Ukraine : formation de la nation moderne aux XIXe et XXe siècles, a été un événement
[4][4]Cf. Yaroslav Hrytsak, Naris istorii Ukraini : formouvanja…. L’auteur utilisait pour la première fois le modèle de modernisation des sociétés en développement, élargissant pour ce faire le cadre du processus historique : l’Ukraine moderne n’a pas été seulement inventée par une intelligentsia ayant une conscience nationale ; les régimes d’« occupation » n’ont pas eu moins d’importance, ce qui vaut singulièrement pour l’armée de fonctionnaires sur le terrain. Point essentiel : le « projet ukrainien », chez Hrytsak, incluait d’autres groupes nationaux, même si ceux-ci, souvent, n’avaient pas conscience qu’ils contribuaient au développement de la nation ukrainienne, voire avaient tout simplement d’autres objectifs. Probablement l’ouvrage visait-il plutôt la formation politique des élèves, mais cette approche traitait aussi de l’ancrage sur le territoire. La clef devenait alors une solidarité croissante dans une région particulière, indépendamment des différences ethniques, linguistiques, culturelles ou religieuses. S’amorçait du même coup la transition d’un nationalisme des « méchants », de l’« ethnie », du « sang », caractéristique de l’Europe de l’Est, vers un nationalisme des « gentils », un nationalisme de « citoyenneté, propre à l’Europe de l’Ouest ».
14Il faut en conclusion noter que c’est toute la méthodologie qui a changé avec l’indépendance : les classes ne sont plus le moteur de l’histoire et la lutte des classes ne préside plus au mouvement historique ; comptent maintenant les nations et les relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres. L’étude de la construction nationale en Ukraine fait ainsi partie des grands chapitres de l’histoire en général.
15Certes, la nouvelle histoire, en Ukraine, n’a pas non plus été exempte d’excès, d’idéalisation des Ukrainiens, ni même de narcissisme. Il n’en reste pas moins que nous étudions non plus l’histoire de notre désir « éternel » de rejoindre le « frère » russe, mais celle de notre aspiration à l’indépendance. Les élèves se représentent maintenant à eux-mêmes comme Ukrainiens, c’est-à-dire comme citoyens d’Ukraine, même s’ils appartiennent à des ethnies différentes.
16En somme, l’État ukrainien a réussi à produire en quelques années une conscience nationale chez les jeunes citoyens, même dans le sud-est du pays, où, on le sait, les jeunes ont voté majoritairement pour le candidat « national », Viktor Iouchtchenko, alors que 74 % des électeurs plus mûrs ou plus âgés s’y sont exprimés en faveur du candidat marginal. La pédagogie, en 2004, a fait ses preuves.