omer bartov : historien de la shoah
Vladimir Poutine évoque la « dénazification » de l'Ukraine comme un de ses buts de guerre. Sur qui pense-t-il que cet argument de propagande peut porter ?
Le terme « dénazification » a été utilisé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour désigner les enquêtes auxquelles ont été soumis les anciens membres du Parti national-socialiste afin de s'assurer que ceux-ci n'entretenaient plus aucune loyauté envers le nazisme, processus imparfait ici de surtout touché le menu fretin, présenté les "gros poissons" en dehors du coup. Mais, quoi que nous pensions de ce processus, il n'a rien à voir avec ce que Poutine laisse entendre.
Bien sûr, l'Ukraine n'est pas dirigée par des nazis. Il existe certes, en Ukraine, des groupes d'extrême droite que l'on peut qualifier de néonazis. Mais ce sont des éléments marginaux, comme a démontré l'élection triomphale du président Zelensky, qui est lui-même d'origine juive. En réalité, Vladimir Poutine restaurera l'empire soviétique, voire l'Empire russe. La Russie, pour Poutine et ses propagandistes, devrait être composée des trois éléments constitutifs de l'Empire russe : les Grands Russes (Russie), les Petits Russes (Ukraine) et les Russes blancs (Biélorussie). A quoi s'ajoutent les territoires qui ont fait partie de l'empire, comme la Finlande, les pays baltes, la Pologne, la Bessarabie, sans compter une sphère d'influence parmi les Slaves du Sud, dans les Balkans… Rien à voir avec le nazisme. Quand Poutine parle deLe «dénazifier» de l'Ukraine, le ne fait que justifier sa propre politique expansionniste.
Cela peut fonctionner en Russie, en dehors des principaux centres urbains (où se déroulent des manifestations antiguerre), parce que cette référence réanime les souvenirs héroïques de la Seconde Guerre mondiale. Il tente également d'exploiter les préjugés anti-ukrainiens que partage une partie de la population russe, c'est-à-dire les "petits Russes"avec un certain mépris. Elle peut également avoir un effet limité sur certaines populations juives dans le monde et en Israël (où la plupart des "Russes" sont des juifs russophones dont les familles sont originaires d'Ukraine). Cela peut aussi parler de certains éléments de la gauche européenne ou américaine, en particulier ceux qui ignorent à la fois l'histoire de la Seconde Guerre mondiale et l'Ukraine d'aujourd'hui. Mais, avec le lot quotidien de violences russes, l'effet à court terme de cette propagande va s'estomper et pourrait même se retourner contre Poutine, que certains pourraient se présenter comme recourant lui-même à des méthodes "nazies".